Soutien émotionnel

Introduction

Il y a quelques 20 ans, la problématique des brûlures était une affaire purement médicale, somatique. Les médecins et les infirmiers faisaient l’impossible pour dissimuler la peau brûlée aussi vite que possible. Les difficultés psychosociales étaient principalement traitées par les infirmiers.

L’explosion survenue dans une blanchisserie en 1983, puis l’explosion d’une bombe dans un auditoire de l’UCL à Woluwé-Saint-Lambert a vu, tout à coup, l’afflux d’un nombre particulièrement élevé de jeunes victimes dans les centres de grands brûlés. Leur vie avait dramatiquement basculé d’un coup suite au traumatisme et ensuite en raison des cicatrices. Avec cette affluence imprévue, le personnel infirmier a eu un travail considérable en soins infirmiers et donc très peu de temps à passer au lit du patient, à écouter son histoire. La priorité était l’aspect médical et le maintien en vie du patient.

À l’époque, on pouvait faire appel dans la plupart des centres de grands brûlés à un psychologue externe en cas de problèmes liés à la non acceptation de ses cicatrices, en cas de crises de larmes fréquentes et « inexplicables » ou d'accès d'agressivité chez le patient. Le psychologue de l’époque avait une image assez obscure; c’était une apparition en tablier blanc, inaccessible et personne ne savait exactement ce que sa présence apportait au centre de grands brûlés. Il y avait en outre une sorte de sentiment de compétition chez les infirmiers, parce que le psychologue jouait sur leur terrain.

Les infirmiers avaient un contact intense avec les patients et connaissaient leurs secrets les plus intimes.

On a de plus en plus pris conscience de l’importance du soutien psychologique des patients brûlés au fur et à mesure où les catastrophes se sont suivies et à mesure que le psychologue s'est intégré davantage à l'équipe soignante et impliqué dans les soins généraux au patient. Avec l’évolution médicale, une attention plus importante a été accordée à la problématique psychosociale chez les victimes de brûlures dans les domaines de la chirurgie et des techniques de traitements spécifiques des traumatismes dus à des inhalations. Les brûlures graves entraînent de moins en moins souvent le décès du patient ; un nombre sans cesse croissant de victimes de brûlures doit donc vivre avec des mouvements limités ou des cicatrices importantes, ce qui a clairement des implications sur la qualité de vie et le bien-être de l’individu.

Le syndrome de stress post-traumatique

La plupart des personnes qui vivent un événement bouleversant sont sous le coup de ce dernier, et pendant un certain temps, ils éprouvent des difficultés à retrouver leur équilibre. Chez la plupart, les troubles disparaîtront d’eux-mêmes au fil du temps ou avec l’appui de la famille et des amis.
Le trouble psychique le plus courant chez les personnes souffrant de brûlures est le syndrome de stress post-traumatique ( SSPT). Les chiffres de prévalence tirés des ouvrages relatifs au SSPT un an après l’accident varient entre 15 % et 45 %. La raison de ce grand écart repose notamment sur l’inclusion ou non des patients psychiatriques et sur les instruments de mesure utilisés (Van Loey, N., 2003, Beyond Burns. Identification and Impact of Posttraumatic Stress Disorder)[Identification et impact des syndromes de stress post-traumatique]

Le SSPT est une crise d’angoisse : une multitude de troubles se produisent. Ils surviennent après avoir vécu une expérience psychique choquante et se répercutent sur le fonctionnement quotidien dans différents domaines. Le SSPT se caractérise par un revécu permanent de l’événement traumatisant, un refus persistant des stimuli liés au traumatisme ou un émoussement de la réactivité générale et des symptômes persistants d’irritabilité accrue. Pour pouvoir parler du SSPT, les symptômes doivent perdurer plus d’un mois. S'ils durent moins d'un mois, il est question de syndrome de stress aigu (SSA). (DSM-IV)

Un aspect important de la déclaration d’apparition d’un SSPT après un accident ayant provoqué des brûlures est le caractère imprévisible et incontrôlable du traumatisme et souvent aussi lié aux différents aspects du traitement nécessaire au centre de grands brûlés. Les victimes perdent tout à coup leur emprise sur la vie quotidienne. Elles sont confrontées à un intense sentiment de perte de contrôle et de dislocation, une perte soudaine d'attentes et d’hypothèses fondamentales, évidentes avant l’accident. Elles perdent brutalement confiance en elles et en leur entourage ; il y a disparition soudaine de la certitude de l’existence quotidienne, du sentiment normal de sécurité, de prévisibilité et de capacité de contrôle ainsi que de l’illusion de sa propre invulnérabilité.

Un traitement anti-douleur adapté, les efforts des infirmiers, médecins, psychologues et autres thérapeutes en vue de créer un environnement prévisible, contrôlable afin de reconstruire aussi vite que possible le sentiment de contrôle et de confiance en soi chez le patient peuvent constituer un atout important dans la prévention du SSPT.

Les victimes d’un traumatisme ont vécu quelque chose qui pour elles était inimaginable. Elles se voient contraintes de revoir les idées et les attentes plus ou moins sûres qu’elles avaient à propos d’elles-mêmes, des autres, du monde et de leur avenir (les « schèmes »). Lorsque les schèmes ne s’adaptent pas de manière adéquate aux informations contenues dans l’événement traumatisant, on parle d’intégration d’un traumatisme. L’événement traumatisant trouve une place dans le vécu.

La période du traitement qui suit un accident traumatisant est caractérisée par une alternance de périodes de revécu du traumatisme sous la forme de flash-back ou de cauchemars, mêlées ou non à des réactions physiques, notamment à des palpitations, une bouche sèche et de la transpiration, avec des périodes de refus de tout ce qui peut être associé au traumatisme (bulletins d’informations, lieu de l’accident, personnes qui leur rappellent l’accident, reconnaissance du suivi du traumatisme sur les plans physique, administratif ou psychique).
L’explication de cette alternance de revécu et de réactions de refus repose sur l’essence d’un événement émotionnel choquant. Celui-ci est d’une part écrasant et irrévocable (impossibilité de retour en arrière) et, d’autre part, il est par nature à ce point négatif qu’on met tout en oeuvre pour l'oublier.

Toutes les victimes d’un événement psychique choquant ne sont pas prédisposées à développer un SSPT. Le vécu d’un traumatisme ne conduit pas par définition à une symptomatologie grave du stress. Par ailleurs, il faut aussi signaler que la présence de blessures corporelles n’est pas la condition sine qua non d'un SSPT. Être le témoin d'un événement bouleversant où l’on a connu angoisse, horreur ou délaissement, peut provoquer des troubles post-traumatiques.

Les patients brûlés dont la stratégie d’adaptation n’est pas au point, qui ont des antécédents psychiatriques ou une structure de la personnalité nettement névrotique, qui souffrent de grosses brûlures (brûlures aux mains et au visage) risquent davantage de souffrir du stress post-traumatique.
Les personnes sont souvent confrontées à la douleur lors de leur séjour dans un centre de grands brûlés. Parmi ces confrontations, on trouve les soins et interventions médicales multiples et (extrêmement) douloureux des brûlures qu’elles doivent subir. Certaines personnes se font continuellement suivre pour une douleur (éventuelle), d’autres affichent une grande tension (avant et/ou pendant le traitement des brûlures) et ne parviennent pas à se détendre. Elles courent ainsi plus de risques de SSPT.

La (perception de la) responsabilité d’un accident joue également un rôle déterminant dans le développement du SSPT. Les victimes qui estiment d’autres personnes responsables de l’accident ont plus de difficultés à intégrer l’accident parce qu’elles sont souvent confrontées à une colère intense et à des sentiments de frustration. Les longues procédures juridiques concernant la responsabilité et la faute (cfr. l’explosion de gaz de Ghislenghien) ne sont pas favorables au bien-être psychique du patient. Les personnes qui s’estiment responsables ou qui imputent l’accident au hasard récupèrent souvent mieux après un traumatisme.

L’expérience vécue dans le centre de grands brûlés et les chiffres des études démontrent qu’un bon soutien psychosocial dans la phase aiguë suivant une catastrophe est indispensable et que les victimes et leur famille doivent être informées de manière approfondie. Les assistants sociaux doivent essayer de créer un environnement fiable et prévisible et proposer un point de contact clair. Dans les premières semaines qui suivent le traumatisme, cette forme de soutien doit de préférence se faire chaque jour, de manière continue et coordonnée.
Lors des premières semaines qui suivent un traumatisme ayant entraîné des brûlures, il ne faut pas prévoir d’autres traitements spécifiques des traumatismes car une majorité va s’en remettre spontanément. La réaction de stress initiale après un traumatisme représente pour beaucoup une « réaction normale » à une situation « anormale ». Réfléchir aux problèmes persistants ne cesse d’être d’une importance capitale.
Les thérapeutes qui s’impliquent activement sur le site de la catastrophe ou dans le traitement de la victime ont souvent aussi besoin d’un accueil et d’un soutien ; ils peuvent ainsi faire appel au psychologue du centre de grands brûlés.

Chez les victimes d’un traumatisme ayant entraîné des brûlures, il faut trois à six mois pour voir clairement la personne qui ne récupérera sans doute pas d’elle-même. Pour ces dernières, il faut adopter un autre traitement des traumatismes (Van Loey N., Reynders C. et Faber A. dans Posttraumatische stress-symptomen bij slachtoffers met ernstige brandwonden [syndromes de stress post-traumatique chez les victimes de brûlures graves]. De la revue ANPI, septembre 2005, n° 176)

Une mise au point a été faite sur l’aide existant pour les patients brûlés suite à l'explosion de gaz à Ghislenghien le 30 juillet 2004 et aux premiers résultats d'une étude en cours dans les centres de grands brûlés aux Pays-Bas et en Belgique, relative aux conséquences psychosociales d’un accident ayant provoqué des brûlures (étude effectuée par Mme Nancy Van Loey, chercheur scientifique de la Vereniging Samenwerkende Brandwondencentra Nederland – Association de l'union des centres de grands brûlés des Pays-Bas ou VSBN). Il s’est avéré que l’intensité et la durée du stress lié au traumatisme chez les victimes de Ghislenghien étaient très importantes, d’où le besoin d’augmenter la capacité en matière de soutien psychosocial dans les centres de grands brûlés belges.
En vue de pouvoir développer un parcours de soins plus structuré, on a procédé au recrutement dans chaque centre de grands brûlés via les pouvoirs publics d’un psychologue à mi-temps et d’un coordinateur de soins à mi-temps supplémentaires.

Recherche

Dans le cadre du suivi psychosocial, un certain nombre d’études sont actuellement en cours concernant les conséquences psychosociales des brûlures chez les enfants. Ces études sont menées par monsieur Koen Maertens, psychologue de l’unité d’enseignement et de recherche du service de Psychologie du Développement et de la famille, Faculté des Sciences psychologiques et de l’Education de l’Université Libre de Bruxelles, en collaboration avec les centres belges de grands brûlés. Ceci permet de mesurer l’impact des camps pour enfants brûlés sur le développement psychosocial de l’enfant et sur le vécu des parents.

Dans ce contexte, un premier article ayant pour titre ‘The underlying motives and experiences of children who participated in burn camps: a qualitative study’ [Motivations et expériences profondes des enfants ayant participé aux camps pour enfants brûlés : étude qualitative] paraîtra bientôt dans « Journal of Burn Care & Research ».
Il ressort de cette étude, menée en collaboration avec « National Burn Camps » (NBC), que les enfants brûlés ayant participé à un camp de ce genre en tirent un avantage principalement psychologique. Tant les enfants, leurs parents que l’encadrement indiquent que les principaux avantages tirés d’une participation à un camp pour enfants brûlés sont une plus grande confiance en soi, une meilleure capacité d’adaptation, le développement de capacités sociales, la création de nouvelles amitiés et le sentiment de pouvoir atteindre un objectif dans la vie.

Une autre étude en cours concerne l’impact des cures thermales sur la formation des cicatrices chez les enfants brûlés et vise à établir les caractéristiques enfantines et familiales pouvant influencer cette évolution. Les cicatrices des enfants ayant participé à un camp de cure thermale organisé par l’asbl Pinocchio, sont évaluées de manière subjective et objective. Une évaluation objective de la cicatrice est réalisée à l’aide d’un chromamètre en ce qui concerne la couleur et à l’aide du « Dermalab skin testing » quant à l’élasticité et la perméabilité à la vapeur d’eau. Une évaluation subjective de la cicatrice est réalisée à l’aide du « Patient Observer Scar Assessment Scale » (POSAS). Les premiers résultats indiquent une amélioration globale sur le plan de la douleur, des démangeaisons, de la couleur et de la souplesse cutanée après un certain temps (mesuré à l’aide du POSAS), plus précisément 3 et 6 mois après les cures thermales, par rapport à la situation avant le début de ces cures.

Ensuite, une autre étude, réalisant un suivi vertical, est menée en collaboration avec la Maison Greet Rouffaer et sponsorisée par Ajax Brandbeveiliging Belgique. Pour cette étude, des enfants brûlés sont suivis chaque année, dès la deuxième année suivant la brûlure (jusqu’à dix-huit ans) au niveau médical, psychologique et fonctionnel.
Lors d’une consultation, la cicatrice est évaluée par un médecin (d'un point de vue esthétique et fonctionnel) et par un kinésithérapeute (afin d’estimer les capacités de mouvement et la fonctionnalité). Ensuite, le patient discute avec un psychothérapeute qui examine un certain nombre d’éléments psychosociaux chez l’enfant (brûlé) et sa famille. Les patients sont d'abord invités à compléter une série de listes de questions à caractère psychologique. Ceci permet aux chercheurs d’obtenir un aperçu du développement de ces enfants et adolescents au niveau cognitif, socio-émotionnel et psychomoteur. Après avoir rassemblé les informations du médecin, du kinésithérapeute et du psychothérapeute, il est possible de donner des conseils (facultatifs) aux enfants/adolescents et à leurs parents. Ils peuvent également être orientés vers une assistance spécialisée.

Récemment, le VSBN a entamé une étude prospective sur les enfants. Dans le cadre de cette étude, les enfants sont suivis pendant 18 mois. L’objectif principal de cette étude est d’obtenir une meilleure image des conséquences que peuvent avoir les brûlures sur les enfants et leurs parents au niveau du fonctionnement psychique et de la qualité de vie. Cette étude se déroule dans les centres de grands brûlés néerlandophones de Belgique et des Pays-Bas. (Van Loey, 2007. Protocol Kinderonderzoek: Gedragsproblemen en levenskwaliteit bij kinderen met brandwonden)[Protocole d’étude sur les enfants : problèmes comportementaux et qualité de vie des enfants brûlés]

L'avenir

Depuis septembre 2006, les psychologues des centres belges de grands brûlés ont entamé l’organisation de réunions trimestrielles afin de débattre des questions de contenu et de structure liées au volet psychosocial des soins aux grands brûlés. Ainsi, nous travaillons à une approche plus standardisée et structurée. Nous espérons également parvenir, à terme, à des directives uniformes pour le soutien psychosocial des enfants et des adultes victimes de brûlures.

Nous espérons aussi que le psychologue restera, à l’avenir, une valeur sûre de l’équipe pluridisciplinaire dans les centres de grands brûlés. Grâce notamment à une bonne communication et collaboration entre les psychologues des divers centres et grâce à une autoévaluation continue, nous nous efforçons d'arriver à un soutien plus étendu et de meilleure qualité des grands brûlés ainsi que de leur famille pendant et après l’hospitalisation. Nous comptons y parvenir grâce, entre autres, à la création de meilleures capacités d’orientation, au développement d’un projet « premier jour d’école » ou à un accompagnement pour le retour au travail après un accident professionnel.

La psychologie, particulièrement la psychologie de crise, est une science jeune qui connaît encore une évolution continue. Le psychologue du centre de grands brûlés devra encore faire face à de nombreux défis. Les principaux fondements en seront la collaboration entre collègues au sein d’une équipe pluridisciplinaire, les études scientifiques et l’établissement de stratégies d’accompagnement structurées.

10.000

Incendies domestiques par an

340.000

Soutien financier aux patients

300

Ateliers de prévention par an